Le Kankouran, protecteur des circoncis

20 Septembre 2014, 14:50pm

Publié par Marie Deguine

Petit article sur une tradition de Casamance, que l'on peut malgré tout goûter, du bout des lèvres, dans les rues de KMF.

Quand les kankourans sortent, les enfants les suivent…de loin !

Ici, pas de Grand Méchant Loup. Il y a bien pire…le KANKOURAN ! Cauchemar des jeunes enfants dont on entend les cris dans la rue quand il est de sortie. Cauchemar des enfants ? Pas seulement…cauchemar des plus grands également ! Mais cauchemar est-il vraiment le mot ? C’est un peu plus compliqué que cela en réalité. Expliquons donc ce qu’est réellement le Kankouran.

Tout d’abord, une petite explication sur Fambondy. (Ne vous inquiétez pas, on revient au Kankouran juste après.)

Qui est Fambondy ? Fambondy est le roi des djinns protecteurs des peuples de la Basse-Casamance. Vêtu de rouge, il est craint par les hommes et les djinns mêmes. On ne le convoque pas pour de petites choses. Les anciens vont le rencontrer dans plusieurs cas. Tout d’abord, quand des malheurs surnaturels s’abattent sur le village. Ensuite, quand des circoncisions doivent être pratiquées dans le village. C’est un grand djinn très sage et très puissant. Il arrive à lutter contre le mal et les êtres maléfiques. Quand Fambondy sort, c’est tout un rite. Seuls les anciens peuvent aller le rencontrer.

Quand les anciens vont rencontrer Fambondy, ils enlèvent leur chapeau pour se présenter tête nue puis s’accroupissent et prononcent les paroles sacrées. C’est alors que Fambondy apparait. Personne ne regarde son visage. Les anciens lui expliquent ce qui les a amenés à convoquer le roi des djinns, puis s’en retournent au village.

Il est consulté par les anciens uniquement quand les enfants meurent de maladie surnaturelle (surnaturelle est un mot qui s’impose rapidement car le tamaris placé au centre de chaque foyer est censé protéger les enfants des maladies), ou encore quand les cultures ne sont pas bonnes. Ainsi on le convoque pour trouver des solutions quand même les anciens ne trouvent pas la cause des malheurs.

Si c’est pour des malheurs, Fambondy pousse alors son terrible cri pour avertir qu’aucune femme ni aucun jeune homme ne doit plus sortir, seuls les hommes âgés y sont autorisés. En général, la population ne doit pas sortir le soir après 19h. On entend alors des bruits extraordinaires mais on ne doit pas sortir. D’après ce qu’on raconte, les êtres maléfiques en forme humaine qui habitent les villages sont alors identifiés et tués par Fambondy. Durant cette période, beaucoup de grandes personnes vont mourir et on comprend alors qui sont les alliés du mal au village. Ensuite, le village retrouve le calme, les enfants ne meurent plus et les cultures poussent. Durant la période pendant laquelle Fambondy opère dans le village, même les Kankourans et les Kumpos n’osent pas sortir.

Le Kankouran fait partie de l’ancienne histoire de la Casamance. Les rois animistes ont contracté des pactes avec des génies et djinns qui donnent des forces surnaturelles à des êtres humains, appelés les Kankourans. Le Kankouran est donc simplement un habitant du village. Quand il est de sortie, il revêt son habit rouge avec l’aide d’un initié. Il mord dans son grigri pour disparaitre de la vue de tous. Les kankourans sont les protecteurs des enfants circoncis.

Kankouran à KMF

Les Kumpos accompagnent les Kankourans. Ce sont les gardiens des circoncis. Ce sont aussi des habitants du village dotés de pouvoirs surnaturels. Ils ont des lianes autour de leur corps et un bâton sur la tête. Il revêt également son costume, rouge le plus souvent, avec l’aide d’un initié. Il prend le bâton et le pose par terre et fait la toupie pour égayer la population et pour annoncer qu’une circoncision se prépare. On ne voit jamais ses pieds. Donc c’est surnaturel.

Dans un village, les garçons doivent avoir cinq ans pour être circoncis. Quand il y a un groupe de garçons qui doivent être circoncis, les anciens demandent d’abord à Fambondy si cela peut se faire. C’est lui qui décide de la période des circoncisions. Il pousse alors son cri pour annoncer que celle-ci va commencer. C’est à cette période qu’apparaissent les Kankourans et les Kumpos. En Basse-Casamance, la circoncision signifie le passage de l’état d’enfant vers celui d’adulte et est appelé « leul » chez les Diolas. C’est une étape extrêmement importante. Les Kankourans, en sortant d’une maison dans laquelle on vient de pratiquer une circoncision, permettent également de faire sortir les êtres maléfiques. Les Kankourans vont alors chercher le repas des circoncis. Si c’est au village, il va chercher la nourriture directement dans la forêt. La période de circoncision dure un mois voire deux, durant lesquels les circoncis sont alors amenés en forêt, dans le bois sacré selon ce grand rituel appelé leul. Les autres habitants du village ne doivent pas franchir la limite sous peine de mort. Les hommes tirent au fusil et se coupent les bras mais grâce à leurs grigris, cela ne saigne pas, c’est ainsi qu’ils montrent le pouvoir de leurs grigris.

Dans le bois sacré, des formateurs apprennent à cette communauté d’enfants à vivre selon la vraie tradition mandingue. On leur apprend la communication par les gestes. Un exemple simple est un ami qui arrive chez toi. Cet ami n’a pas mangé, il a faim mais malheureusement il n’y a rien de prêt chez toi. Tout en te saluant, ton ami va te faire comprendre par des gestes qu’il a faim. Et en répondant à son salut, un geste simple de ta part lui fait également comprendre que tu ne peux rien lui offrir à manger. Les jeunes garçons apprennent aussi à comprendre la forêt, le langage des djinns, certains phénomènes inexpliqués ou encore le savoir de la médecine traditionnelle. En dehors de cette communauté d’initiés, les enfants n’ont pas le droit de partager tout ce savoir. Tout cela change la vision de leur vie. Ils apprennent également à comprendre la personnalité d’une personne, d’une femme par exemple, appelée gaff ou jiguèèn. La façon dont une femme porte son pagne - noué du côté gauche, droit, ouvert sur le côté… - en dit long sur ses attentes. D’ailleurs, les femmes aussi ont leurs astuces pour comprendre les hommes. Par exemple, une femme porte avec difficulté un bol sur sa tête, un enfant dans son dos et son pagne tombe. Selon que l’homme l’aide pour le bol, l’enfant ou le pagne, cela lui permet de comprendre ce que l’homme veut réellement.

Les êtres maléfiques aiment la chair des enfants venant d’être circoncis (ce qui représente simplement la vulnérabilité du jeune garçon à cette période). Les formateurs qui accompagnent les enfants les protègent, mais les vrais protecteurs des circoncis sont les Kankourans.

Les Kankourans permettent aussi d’égayer le village : c’est universel, les gens aiment parler. Les Kankourans créent de nouvelles histoires. En partant du faro (le champ de riz), les femmes passent par le champ de manioc, celui des hommes. Si le Kankouran arrive, les femmes se sauvent et les hommes restent. Ils retirent leur vêtement et le Kankouran frappe alors les hommes sur le dos avec le plat du coupe-coupe. Ceci afin d’affirmer son pouvoir et se donner de l’importance. Toutes ces situations permettent de créer de nouvelles histoires dans le village. On pourra par exemple rire d’un vieux dont personne n’aurait pu jurer qu’il pouvait courir aussi vite, même pour échapper au Kankouran.

Le Kankouran inspire la peur, même si c’est avant tout un protecteur. En effet, il doit également être craint des êtres maléfiques pour pouvoir les éloigner. Il ne fait pas de mal mais il est craint et respecté.

Dans les rues de Keur Mbaye Fall, de jeunes Kankourans se promènent en liberté. Ah les enfants !